Alain Ducasse crève i’ écran
En salle le 11 octobre, le film La quête d'Alain Ducasse suit le grand chef dans ses restaurants étoilés, chez ses producteurs et même dans ses plus improbables expériences culinaires. Un document rare sur un citoyen du monde, insatiable curieux.
Par Colette Monsat
En salle le 11 octobre, le film La quête d’Alain Ducasse suit le grand chef dans ses restaurants étoilés, chez ses producteurs et même dans ses plus improbables expériences culinaires. Un document rare sur un citoyen du monde, insatiable curieux.
Alain Ducasse fait sans doute partie de la poignée de chefs les plus connus dans le monde. Un cuisinier qui reçoit les hommes d’État dans ses restaurants en leur servant des plats mitonnés au bon goût de la France, pratique le grand écart entre haute gastronomie et bistrots patrimoniaux, se nourrit chaque jour à l’adrénaline de nouveaux défis. En cela, il est un personnage de roman et désormais de cinéma. Le réalisateur Gilles de Maistre l’a en effet suivi, caméra à l’épaule, durant dix-huit mois, pour tenter de comprendre ce qui fait courir Alain Ducasse. Sa «quête» – d’aucuns diront sa conquête – qui le pousse à parcourir la planète, bien au-delà du simple audit de ses propres adresses.
Les premières images du film nous conduisent sur le chantier pharaonique du pavillon Dufour, au château de Versailles, où il doit ouvrir dans les mois qui viennent Ore, son nouveau restaurant. Casque sur la tête, il déambule dans les salles à manger en devenir, se penche sur les plans, étudie avec une historienne les menus du Grand Siècle, veille au moindre détail sans jamais rien lâcher. Puis, dans la foulée, il s’envole vers Tokyo, où il se révélera boulimique de plats, de saveurs, d’ambiances, de produits, découvrant l’insolite, l’exotique, l’inconnu avec une curiosité, une allégresse non feintes.
De la cuisine de rue aux tables reconnues, tout l’intéresse, c’est palpable à travers ces gros plans où il hume, émiette, savoure et classe chaque sensation dans le disque dur de sa mémoire gustative. «Il a le goût parfait comme d’autres ont l’oreille absolue», précise la voix plaquée sur les images. Et nous de comprendre qu’il n’est pas fait du même bois que le commun des mortels. Il traque l’excellence, a le souci de tout contrôler, aussi exigeant envers lui-même qu’envers ses collaborateurs. Deux à trois mille personnes qui travaillent pour son groupe et ses vingt-trois restaurants répartis dans le monde. Alors, le cuisinier aux 28 étoiles Michelin, a priori insensible au décalage horaire, dort dans les avions, en descend pour resserrer les boulons d’une adresse ou deux, mais aussi s’émerveiller de la créativité d’un de ses chefs qui arrive encore à le bluffer, après tant d’années de travail commun.
Road movie gastronomique
Comme dans un road movie gastronomique très bien rythmé, on le suit à Rio, en Chine, aux États-Unis, à Monaco, aux Philippines et même en Mongolie. Là, dans un paysage de steppes, au milieu de nulle part, Alain Ducasse, accompagné de quelques officiels mongols et tout de yourtes entouré, cogite sur la possible création d’un restaurant. S’ensuit une séquence burlesque avec l’arrivée au loin d’une moto pétaradante. «Notre premier client», lance-t-il, pince sans rire. Oui, la toque multi-étoilée a aussi de l’humour.
Ce long-métrage sur Alain Ducasse est un événement qui va bien au-delà d’un public de professionnels ou de gastronomes avertis
Rares sont les films consacrés à de grands chefs français. Il y eut bien sûr Entre les Bras, de Paul Lacoste, en 2012, dédié à Michel et Sébastien Bras, et de façon plus anecdotique À la recherche des femmes chefs, de Vérane Frédiani, en 2017, où Anne-Sophie Pic, seule triple étoilée française, est largement mise en avant. Mais dans la célébration tous azimuts de la gastronomie hexagonale à travers les concours télévisés, les fictions et autres reportages régionaux, on passe un peu à côté des principaux protagonistes qui, au quotidien, la font vivre et la subliment. Ce long-métrage sur Alain Ducasse est donc un événement qui va bien au-delà d’un public de professionnels ou de gastronomes avertis.
Partis pris et raccourcis volontaires
Si Gilles de Maistre évite les pièges d’une narration chronologique, il pose néanmoins quelques balises éclairantes. Le succès précoce des trois étoiles obtenues à seulement 33 ans au Louis XV, le restaurant de l’Hôtel de Paris, à Monte Carlo, font souvent oublier qu’au départ rien n’était gagné. Il y eut l’enfance dans la ferme familiale des Landes, un marqueur fort, constitutif de sa propre cuisine. Son goût pour les légumes et les fruits cueillis sur place vient à l’évidence de là. Plus tard, il y aura un autre événement décisif, l’accident à bord d’un avion de tourisme, en 1983, dont il réchappera, seul survivant sur cinq. «Ce fut une expérience terrible dont on peut franchement se passer mais qui me sert tous les jours», commente-t-il sobrement. Une minute seulement pour l’évoquer, pas question de faire dans le pathos.
Ainsi a été tramé le film, à la demande expresse de l’intéressé. Avec des partis pris, des raccourcis volontaires. Effleuré, l’engagement humanitaire auprès des enfants de Manille pour les sortir des rues à travers une école de formation. Esquissés, les repas caritatifs aux côtés du triple étoilé Massimo Bottura dans les favelas de Rio. Ils en disent pourtant aussi long sur son rapport au monde que les dîners de gala minutieusement orchestrés pour Trump ou Poutine. C’est seulement une autre facette, une autre temporalité du même personnage. L’illustration faite homme du fameux «en même temps» macronien. Est-ce que le film de Gilles de Maistre nous éclaire finalement sur «la quête» d’Alain Ducasse? Pas sûr. Il aurait fallu pour cela qu’il accepte de se plier au petit jeu de l’introspection, d’aborder la sphère de l’intime. Totalement exclu. Restent les quelques «aspérités» (son mot fétiche) qu’il veut bien nous révéler. Assez pour nous accrocher et nous séduire.
La Quête d’Alain Ducasse», un film de Gilles de Maistre. Au cinéma le 11 octobre.