Traditional France celebrated in Rugby World Cup
«Ils déversent leur haine sur le cinéma de Pagnol et de Renoir, les gambettes des parquets du samedi soir et ce pauvre Jean Dujardin en marcel et gapette, poulbot et un poil démago, héros malheureux de ce maudit vendredi soir.» MARTIN BUREAU / AFP
Traditional France celebrated in Rugby World Cup
Par Thomas Morales – Publié le 10/09/2023
FIGAROVOX/TRIBUNE – La cérémonie d’ouverture du mondial de rugby a été abondamment raillée pour son caractère suranné. Plutôt que de fustiger Jean Dujardin en marcel, il faudrait se réjouir des moments de concorde nationale que nous offre cet évènement, argumente l’écrivain Thomas Morales.
Thomas Morales est écrivain et chroniqueur à Causeur. Dernier ouvrage paru: Monsieur Nostalgie (éd. Héliopoles, 2023).
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Est-ce si grave d’enfiler les stéréotypes dans une cérémonie d’ouverture? Au-delà de quelques lenteurs et ratés dans cet espace immense qu’est le Stade de France, le folklore de notre pays a eu droit ces dernières quarante-huit heures à un torrent de boue de la part de tous les salisseurs de mémoire réunis. L’ovalie leur donne de l’urticaire et des sueurs froides. «Ben mon vieux, si j’aurais su, j’aurais pas v’nu» a du se dire Jean Dujardin comme son jeune homologue de La Guerre des boutons d’Yves Robert en 1962. Un sport collectif qui véhicule tant de valeurs «rances» et dont les victoires ne déclenchent pas des émeutes dans les rues, c’est en effet assez rare pour être signalé et dur à avaler pour tous les victimaires en short.
De mémoire de chroniqueur, je n’ai pas vu une seule voiture brûlée dans les JT du lendemain et aucune scène d’hystérie collective où l’on insulte le drapeau avec la bénédiction de certains représentants politiques. Il y avait dans les tribunes, un air de concorde nationale, une atmosphère bon enfant, un patriotisme de bon aloi, un public familial venu fêter son XV dans les flonflons et le rire des copains. La Marseillaise y a été chantée à pleins poumons et quelques faussetés, dans le bonheur de se retrouver sous la chaleur de septembre et dans l’amour de sa Patrie. Est-ce un crime?
Cette équipe manque cruellement d’aspérités, de vaines polémiques idéologiques et de lutte des classes pour incarner la France du XXIème siècle. Elle est suspecte aux yeux de nos révolutionnaires et libérateurs des peuples opprimés qui voient en elle un résidu de virilisme et des relents d’Ancien régime. Dans certains médias, le rugby, par son attachement au maillot et au terroir, sa persistance «douteuse» dans le Sud-Ouest, son peu d’ancrage dans les banlieues (l’Île-France est au contraire une terre de conquête pour les recruteurs et les formateurs des clubs professionnels), son accent chantant, son étiquette «bourgeoise» et sa troisième mi-temps rabelaisienne est à ranger au rayon des vieilleries.
Comme si montrer aujourd’hui une place de village, un peu fantasmée, un peu trop ronde et proprette, était le sceau d’un enracinement dangereux.Thomas Morales
Comme la boutique de farces et attrapes de Noël Roquevert dans Un singe en hiver, le rugby est un musée d’antiquités. Un bistrot de campagne abandonné où sur le zinc dépoli, quelques anachorètes évoquent le souvenir de Guy Boniface, Kléber Haedens et Roger Couderc. Dans les rucks, comme dans le constat amer de notre désindustrialisation, en maul comme dans la chute libre des classements internationaux sur l’éducation, le réel est plus têtu que les frères Spanghero. Le déni est un écran de fumée qui ne trompe personne.
Il semble que cette Coupe du monde à domicile suscite, bien plus que les éditions précédentes, un véritable engouement populaire si ce mot n’est pas banni des ligues de vertu et des meetings à gauche. Durant la semaine de préparation, nous avons vu des stades remplis pour assister aux entraînements des équipes étrangères, de Tours à Lumio. Quand il s’agit de taper sur son pays, de moquer ses traditions forcément réactionnaires, de conspuer l’esprit de clocher et les bals populaires, les miches dorées et les terrines de volaille, les parfumeurs de Grasse et les petites mains des ateliers de couture parisiens, la canaille et le cabot, Gabin et Raimu, le second degré et les images d’Epinal, les promoteurs du «vivre ensemble» s’en donnent à cœur joie. Ils sont immunisés contre la mauvaise foi. Momifiés dans le camp du bien, ils ne risquent rien, pas même la relégation médiatique. Ils déversent alors leur haine sur le cinéma de Pagnol et de Renoir, les gambettes des parquets du samedi soir et ce pauvre Jean Dujardin en marcel et gapette, poulbot et un poil démago, héros malheureux de ce maudit vendredi soir. On ricane et on complote gaiement.
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