Albert Uderzo
Albert Uderzo: par Toutatis, il est parti!
DISPARITION – Le dessinateur d’Astérix et Obélix est mort à l’âge de 92 ans. Non sans avoir transmis le flambeau des irréductibles Gaulois à une nouvelle génération de créateurs. Par Olivier Delcroix
Publié hier à 16:46, mis à jour hier à 16:46
Uderzo dans son atelier de Neuilly-sur-Seine, en 2010. Sébastien SORIANO/Le Figaro
C’était un peu le dernier patriarche de la bande dessinée. Le dernier des géants. Le John Wayne du 9e art. Albert Uderzo est mort dans la nuit du 23 au 24 mars d’une crise cardiaque. Uderzo a tiré sa révérence à l’âge de 92 ans, non sans avoir réussi de son vivant à transmettre le flambeau d’Astérix et Obélix à deux jeunes auteurs, Conrad et Ferri, qui vont devoir travailler sans ce tuteur désormais céleste.
Uderzo, pour tous ceux qui l’ont rencontré et bien connu, semblait immortel. Inamovible. Pour tout dire irréductible. Dans son atelier de Neuilly (92), illuminé de lumière et dont les murs étaient habillés d’une multitude de dessins encadrés et de photos, il aimait à donner ses interviews attablé à l’une de ses deux tables à dessin. De prime abord, l’homme était timide. Réservé même. Mais lorsqu’on le connaissait mieux, il s’avérait intarissable sur son travail. Et sur René Goscinny, disparu en 1977, dont il ne cessait de parler avec bienveillance.
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Né à Fismes en Italie le 25 avril 1927, fils d’immigrés italiens, Albert Uderzo sera naturalisé français sept ans plus tard. À la naissance, le jeune Albert est déjà un phénomène car il présente douze doigts, six à chaque main, et se fera opérer un mois plus tard. En 1929, sa famille s’installe en France, dans la banlieue parisienne, à Clichy-sous-Bois. Son père, ouvrier menuisier, travaille dur et sa mère fait des ménages.
Il est amusant de constater qu’Albert Uderzo sait très vite se servir de ses mains pour dessiner. Même si durant les quarante dernières de sa vie, il aura souffert d’un terrible rhumatisme articulaire à la main droite. Lui-même déclarait non sans humour: «Mon père m’a toujours dit: “Avec des paluches comme les tiennes, comment arrives-tu à dessiner des miniatures aussi précises? Tu n’es pas fait pour ça! Tu ferais mieux de faire de la menuiserie!”» Dans son autobiographie Uderzo se raconte, l’artiste dit que ses premières années furent déterminantes. C’est à l’école maternelle que sa maîtresse remarque qu’il possède un vrai don pour le dessin. C’est aussi à cette époque qu’il découvre qu’il est daltonien après que son professeur lui a offert une boîte de crayons de couleur pour dessiner à la maison.
J’avais 13 ans quand on a publié mon premier dessin. Il s’agissait d’un pastiche de la fable « Le Corbeau et le Renard »
Albert Uderzo
Le jeune Uderzo dévore alors des illustrés américains comme Mickey. Au cinéma, ses héros sont Charlie Chaplin, Buster Keaton ou Laurel et Hardy. En 1999, il déclare au Figaro littéraire: «J’ai fait ma première illustration en 1941. Je sortais de l’école primaire. Mon frère aîné, Bruno, m’a conduit au 43, rue de Dunkerque, chez un éditeur qui publiait des magazines pour enfants, tels Junior ou Fillette. Avec mes culottes courtes, j’ai surpris les gens de la maison. Je dessinais les titres. J’ai appris à faire de la retouche photo. J’avais 13 ans quand on a publié mon premier dessin. Il s’agissait d’un pastiche de la fable Le Corbeau et le Renard. Je me souviens même du texte, qui disait: “As-tu des tickets, mon vieux? ” Nous étions en période de disette à l’époque. C’était ma première grande expérience.»
Durant la Seconde Guerre mondiale, sa famille fuit en Bretagne, dans la région de Saint-Brieuc, dans un tout petit village. C’est de cette réminiscence que naîtra sans doute l’envie de situer le village gaulois d’Astérix en Bretagne.
En 1946, Uderzo entre dans la presse et commence à publier ses premières bandes dessinées, comme Flamberge gentilhomme gascon sur un scénario de Marcel Reville. Il y aura ensuite des séries comme Clopinard, le dernier des grognards, Les Aventures de Clodo et son oie, ou des sagas d’aventures dans le magazine OK au nom exotique, telles que Arys Bucket son épée magique ou, bien sûr, Belloy l’invulnérable. Uderzo travaille ensuite pour France dimanche et France Soir. Il apprend sur le tas le dessin réaliste, ce qui n’était pas vraiment de son goût au départ.
L’aventure de «Pilote»
Au début des années 1950, c’est un véritable forçat de la planche… Il dessine cinq planches par semaine, et mène trois séries de front. Tous les jours, Il se lève à 5 heures du matin et se couche à minuit. Mais la grande affaire de sa vie reste à venir. En 1951, Uderzo, qui a 27 ans, rencontre René Goscinny. Tout juste revenu des États-Unis, celui-ci a été embauché par l’agence International Press. Uderzo racontait toujours cette rencontre avec un rien de nostalgie et l’œil pétillant: «Ada et moi habitions rue de Montreuil à Paris. Un soir, comme j’étais en retard, Georges Troisfontaines, de l’agence World Press, fit envoyer un coursier récupérer mon travail. Je vois alors arriver un jeune homme mince, les cheveux très frisés. J’ai cru qu’ils avaient embauché ce type très timide pour faire la course. Je l’ai reçu un peu sèchement. Plus tard, j’ai compris que c’était René Goscinny et me suis excusé auprès de lui. Il en a ri. Au départ, d’ailleurs, comme son nom finissait en “i” et avait des consonances italiennes, je me suis dit: “Tiens, un compatriote! ” De là date notre amitié. Et notre tandem. Malgré cette première prise de contact pour le moins déplaisante, nous sommes rapidement devenus amis. Nous animions chacun une série en bande dessinée. Lui dessinait Dick Dicks, et moi Belloy .»
Astérix est un petit marrant. Son petit côté colérique fait de lui un Gaulois pugnace. Il est à l’image du Français tel que l’image d’Épinal l’a popularisé à l’international, et tel que René et moi souhaitions le caricaturer
Albert Uderzo
Il n’en faut pas plus pour que les deux nouveaux amis quittent cette agence et fondent la leur avec Jean-Michel Charlier. Leur ambition? Créer un journal de bande dessinée qui puisse rivaliser avec les autres titres, voire les dépasser: l’aventure de Pilote commence à se dessiner. Bientôt Uderzo et Goscinny planchent sur un nouveau projet de série. «Nous avons créé Astérix et Obélix un beau jour de l’été 1959, sur un balcon de Bobigny. Nous “fumions”, dans les deux sens du terme, en vidant mécaniquement des verres de pastis. Nous devions créer une bande dessinée façon “folklore français ”. “ Et puis il y a les Gaulois… ”, ai-je lancé. Goscinny m’a arrêté. “Et si nous faisions une série humoristique sur l’époque gauloise ”, a-t-il répondu. C’est aussi simple que cela.» La première aventure d’Astérix parue dans Pilote est tirée à 6000 exemplaires. Le succès arrive comme un tsunami. Bien des années plus tard, Uderzo tentera d’expliquer pourquoi Astérix a autant séduit les Français: «Astérix est un petit marrant. Un héros pas bête du tout, qui a beaucoup d’instinct. C’est lui qui mène l’histoire et qui comprend les choses avant Obélix. Son petit côté colérique fait de lui un Gaulois pugnace. Il est à l’image du Français tel que l’image d’Épinal l’a popularisé à l’international, et tel que René et moi souhaitions le caricaturer.» Avec Goscinny, Uderzo dessine 24 albums d’Astérix et Obélix… Jusqu’à la mort accidentelle du créateur du Petit Nicolas un triste jour de 1977. Entre-temps, il y aura eu l’aventure des Studios Idéfix. À tout petit chien, grandes ambitions tel que le pensaient René Goscinny et Albert Uderzo quand ils fondèrent, en 1974, ces studios français d’animation. Le studio mettra la clé sous la porte à la mort de Goscinny.
En 1980, Uderzo décide de poursuivre les aventures des irréductibles Gaulois. Le Grand Fossé paraît. Il sera suivi de sept autres albums en solo, dont les tirages dépasseront à chaque fois le million d’exemplaires. Aujourd’hui, la série s’est vendue à plus de 380 millions d’exemplaires et traduite en 111 langues ou dialectes. Sans compter les quatre films signés Zidi ou Chabat. Ayant surmonté une terrible bataille judiciaire de sept ans avec sa fille Sylvie, il se réconcilie avec elle en 2014, et offre à la Bibliothèque nationale une partie de ses originaux, pour les mettre à l’abri.
J’avoue que longtemps, un peu à la manière d’Hergé pour « Tintin », je n’ai pas souhaité qu’il y ait de nouvelles aventures après ma mort. Je me rends compte aujourd’hui que c’était une erreur
Albert Uderzo
Jusqu’à la fin de sa vie, Albert Uderzo sera resté un bon vivant, grand collectionneur de Ferrari, possédant un Mirage III dans son garage en souvenir des Chevaliers du ciel. La dernière chose qu’il aura décidé de faire, c’est ne pas laisser mourir ses héros, contrairement au créateur de Tintin. «Je trouve qu’Hergé a eu une fierté un peu idiote, indiquait-il au Figaro en 2010. La transmission de génération en génération se perd. Sur le marché même de l’édition, les grandes séries comme Tintin ou Astérix ne peuvent survivre que grâce à la nouveauté. J’avoue que longtemps, un peu à la manière d’Hergé pour Tintin, je n’ai pas souhaité qu’il y ait de nouvelles aventures après ma mort. Je me rends compte aujourd’hui que c’était une erreur. Je crois que la fille de René Goscinny, Anne, pensait la même chose, mais n’osait pas me le dire. Elle a été soulagée que je fasse ce choix. Je sens bien que mon héros est plus fort que moi.» C’est ainsi que l’ultime décision d’Uderzo aura été dictée par sa modestie… et la volonté de voir survivre son personnage. Souhaitons simplement qu’à son arrivée au ciel des dessinateurs de BD aient dressé un banquet à ce cher Albert. Par Toutatis! Il l’aura bien mérité…