Bocuse, Godfather of Modern Gastronomy

Paul Bocuse, l’empereur de la cuisine française, est mort

DISPARITION – «Monsieur Paul», comme tous l’appelaient, est décédé samedi à l’âge de 91 ans. Personnalité flamboyante, ce grand cuisinier, triple étoilé depuis plus de 50 ans, sera inhumé vendredi à Lyon.

Gérard Collomb, le ministre de l’Intérieur et ancien maire de Lyon, a annoncé samedi la mort du grand chef lyonnais Paul Bocuse. «Monsieur Paul, c’était la France. Simplicité & générosité. Excellence & art de vivre. Le pape des gastronomes nous quitte. Puissent nos chefs, à Lyon, comme aux quatre coins du monde, longtemps cultiver les fruits de sa passion», a écrit le ministre dans un tweet. Ses obsèques seront célébrées vendredi en la cathédrale Saint-Jean à Lyon.

À ses débuts, comme tous les apprentis, Paul Bocuse avait roulé sa bosse, avec la chance de débuter, au col de la Luère, à l’âge de 20 ans, chez la Mère Brazier, après avoir été formé par son père, Georges, qui lui avait appris, dès ses 9 ans, à cuire les rognons de veau. Mais c’est avec Fernand Point que Paul Bocuse va découvrir la fierté du métier. Quand il était de sortie avec le célèbre chef de La Pyramide, à Vienne, il était impressionné par les colères de Point. Souvent, ce dernier, au volant de sa voiture, lorsqu’il voyait à l’extérieur des restaurants des figurines de bois représenter le chef avec bedaine, joues rouges et toque farfelue, fulminait: «Tu vois Paul, ces trucs-là, on devrait les écraser chaque fois qu’on en voit au bord de la route

Avec lui, Bocuse apprend les fondamentaux. La réhabilitation de l’assiette qui marque le passage du pouvoir de la salle à celui de la cuisine. Antérieurement, les maîtres d’hôtel tranchaient, découpaient, flambaient, composaient les assaisonnements, battaient les sabayons devant les clients. Les cuisiniers étaient en deuxième rideau, jouaient les deuxièmes couteaux. Avec Point, il apprendra également à soigner le service de table: les assiettes, la verrerie, le nappage, la décoration, et surtout à saluer en salle…

Gault et Millau sous le charme

La première étoile arrive en 1958, alors que dans son restaurant, l’Auberge du Pont de Collonges, les couverts sont encore en inox et les nappes en papier. En 1960, il décroche la deuxième, tandis que les toilettes se trouvent encore dans la cour, et, en 1965, la troisième. C’est dans ces «années de grâce» qu’Henri Gault et Christian Millau allaient tomber en arrêt devant sa cuisine: «Nous nous étions retrouvés chez lui, racontent-ils, il n’avait que 2 étoiles à l’époque, mais était considéré comme un 3-étoiles possible. À déjeuner, Bocuse nous proposa ses grands airs: soupe d’écrevisses, loup en croûte, petits fromages, œufs à la neige. Le tout parfait. Nous étions sortis de table vers quatre heures. Une inspiration nous a poussés à revenir pour dîner en demandant quelque chose de très léger. Il est revenu peu après avec une salade de haricots verts. À première vue, cela ne nous disait pas grand-chose. Or cette salade était tout simplement géniale! Les haricots verts croquants avaient une odeur de jardin, une saveur exceptionnelle. C’était grandiose dans l’extrême simplicité. Après sont arrivés des petits rougets de roche cuits à la perfection, c’est-à-dire très peu cuits. Fermes, avec tous les parfums de la mer. La nouvelle cuisine existait et nous venions de la rencontrer.»

L’amour des produits de sa région

Sans Internet ni réseaux sociaux, il a su cultiver à la fois sa propre image et celle de la cuisine française avec un sens de la communication qui n’avait d’égal que son humour et sa faconde. Certaines de ses répliques sont d’ailleurs devenues cultes comme cet échange avec un journaliste: «Vous avez fait de piètres études? – Oui, mais j’ai mes deux bacs, celui d’eau froide et celui d’eau chaude.»

Boulimique de travail, il a bâti un empire à travers le monde, avec ses restaurants, ses brasseries, son complexe Orlando en Floride, mais aussi l’Institut de cuisine à Écully, la fondation, le concours international du Bocuse d’or, les livres, les produits dérivés…

 

Amoureux tendance macho, il était aussi le seul Français à se revendiquer officiellement trigame, ayant réussi le tour de force de faire cohabiter près de lui trois femmes à forte personnalité, tel un monarque d’Ancien Régime. Rien à voir pourtant avec le coq gaulois tatoué sur son avant-bras gauche. Celui-ci, souvenir laissé sur sa peau par les GI américains, n’était que le contre-pied symbolique de l’aigle nazi. Évidemment, le volatile n’était pas non plus pour lui déplaire, lui qui savait hypnotiser les gallinacés d’un simple regard, apprivoiser les chiens, chasser en solitaire. Et surtout faire une cuisine conforme à ce qu’il avait appris jadis chez ses trois mentors: Eugénie Brazier au col de la Luère, dans les monts du Lyonnais, Fernand Point à Vienne, Gaston Richard chez Lucas Carton, à Paris. Une cuisine telle qu’il l’a toujours pratiquée, «en marmite, avec du beurre, de la crème, des os et des arêtes». Et surtout un amour immodéré des beaux produits, ceux de sa région toujours. C’est d’ailleurs grâce à lui que les saint-marcellin de La Mère Richard, la rosette de Colette Sibilia, les volailles de Bresse des Bastin, les chocolats de Philippe Bernachon ont désormais une renommée internationale.

Un patriarche flamboyant

Personnage complexe, paradoxe vivant, Paul Bocuse a vécu voluptueusement les honneurs tout en restant au plus près de la nature, des animaux et des gens. Si ses coups de gueule en cuisine sont mémorables, il a su aussi s’entourer de lieutenants qui battent des records de longévité dans son fief de Collonges. Certains membres du personnel sont là depuis plusieurs décennies, les maîtres d’hôtel ont entre vingt et quarante ans de maison… Il a formé des centaines de chefs, obsédé tout au long de sa vie par le partage et la transmission. D’où l’Institut d’Écully, dont les élèves viennent du monde entier pour apprendre les bases de la cuisine traditionnelle française, d’où la création de sa fondation ainsi que du concours de cuisine international Le Bocuse d’Or. Héraut des Trente Glorieuses quand il gambadait avec ses copains pour vendre le savoir-faire français à l’étranger, homme aux multiples conquêtes mais viscéralement attaché à ses femmes, «Monsieur Paul» a été le patriarche le plus flamboyant, pour ne pas dire attachant, de la gastronomie française. Malgré les embardées et écarts de conduite, il a suivi toute sa vie la feuille de route qu’il s’était fixée. Car, pour lui, «le courage, c’était la fidélité. Fidélité au goût, aux saveurs, à la bonne cuisine, à ses amis. Fidélité à soi-même». Aujourd’hui, la cuisine est comme la poularde. En deuil.

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Font: lefigaro