Jean-Pierre Marielle

L’acteur Jean-Pierre Marielle est mort à l’âge de 87 ans

Par  Armelle Héliot

 

DISPARITION – Le grand comédien élégant et fin, inoubliable au cinéma et bouleversant au théâtre, s’est éteint ce mercredi.

On ne le voyait plus. Lui qui aimait tant applaudir chaleureusement ses camarades, ne sortait plus guère depuis des mois. La dernière fois qu’il avait eu un très grand bonheur de spectateur, c’était aux Bouffes du Nord. Assis sur une chaise, auprès de sa femme Agathe Natanson, au bord de la scène, au plus près de son ami Gérard Depardieu et de Gérard Daguerre, au piano. C’était la répétition générale du récital consacré à Barbara. Jean-Pierre Marielle n’en avait pas perdu un soupir, touché par l’émotion. Il souriait, les larmes aux yeux, à la fin. Comme toute la salle ce soir-là.

Jean-Pierre Marielle s’est éteint mercredi. Il était souffrant depuis plusieurs années. Mais il avait fait front, s’était battu, avait joué encore, et notamment avec sa femme, la comédienne Agathe Natanson, qui veillait sur lui avec amour. En plus de soixante ans de carrière, Jean-Pierre Marielle aura tourné soixante-dix films de cinéma, une bonne quarantaine de «dramatiques», comme on disait autrefois à la télévision, joué dans plus de quarante pièces. Bref une vie très bien remplie. Et sans jamais se lasser ni lasser le public qui avait pour lui de l’admiration.

» LIRE AUSSI – Jean-Pierre Marielle, les films mémorables du grand duc

Il en imposait, Monsieur de Sainte-Colombe, dans le film d’Alain Corneau inspiré du livre de Pascal Quignard, Tous les matins du monde. C’était en 1991, l’un de ses très grands rôles. Mais si on se met à qualifier les uns plutôt que les autres, on sera dans l’embarras: Jean-Pierre Marielle était de ces artistes qui apportent un supplément d’âme au moindre personnage et on ne l’a jamais vu décevant. Il y avait de l’aristocrate en lui. Une haute silhouette déliée, un visage au bel ovale, mangé par une barbe grisonnante à la fin de sa vie, un regard franc et aussi profond que souvent malicieux, une voix extraordinaire. Superbement timbrée et se faisant métal ou velours, selon les rôles et les circonstances.

Jean-Pierre Marielle était de ces artistes qui apportent un supplément d’âme au moindre personnage et on ne l’a jamais vu décevant

Né le 12 avril 1932 à Dijon, il venait d’une famille originale. Un grand-père vigneron, un père qui aimait la musique et accompagnait au piano des films muets, une mère fantasque et charmante qui dirigeait une fabrique de lingerie. Jean-Pierre Marielle avait une grande sœur de douze ans son aînée. Lorsque ses parents divorcèrent, elle était une jeune femme. Lui, à douze ans, demanda d’aller en pension. Son professeur de français l’initie au théâtre et lui conseille de tenter le conservatoire. Il en sortira en 1954 avec un deuxième prix. Il s’est forgé là des amitiés à la vie à la mort: Jean-Paul Belmondo, Pierre Vernier, Michel Beaune, Françoise Fabian, Claude Rich, Guy Bedos, Bruno Cremer…

» LIRE AUSSI – Jean-Pierre Marielle: «J’adore ça, jouer les cons»

Il joue avec la compagnie Grenier-Hussenot, fait du cabaret le soir comme tous les jeunes comédiens de cette époque. Ils sont pauvres, ils bossent. Ils sont repérés pour des films, des dramatiques télévisuelles. En vérité, ils n’arrêtent jamais tous autant qu’ils sont et l’époque est beaucoup moins sectaire qu’aujourd’hui. Ils vont du boulevard au théâtre «intellectuel», des comédies filmées pour faire rire au cinéma d’auteur. Ainsi le grand Marielle rejoint-il la bande des acteurs de Claude Régy à partir de 1966 et pour trois ans . Il y a là Delphine Seyrig, Michael Lonsdale, Bernard Fresson, Jean Rochefort. Dans les mêmes années, il tourne avec De Broca, Jean Aurel, Cécil Saint-Laurent….

Des metteurs en scène et des hommes

On ne résumera pas ici toute sa brillantissime carrière. Pour aller du côté du cinéma, il y a bien sûr Week-end à Zuydcoote d’Henri Verneuil en 1964, Le Diable par la queue de Philippe de Broca en 1969, Que la fête commence de Bertrand Tavernier, Dupont Lajoie d’Yves Boisset en 1975 et surtout Les Galettes de Pont-Avende Joël Seria la même année…Tant d’autres encore où il brille et émeut, fait rire… Dans Tenue de soirée de Bertrand Blier, il passe pour être un homme dépressif et très riche, dans Quelques jours avec moi, Sautet capte sa mélancolie, et dans Uranus de Claude Berri, il est Archambaud.

Évidemment Monsieur de Sainte-Colombe marque les esprits. Il y côtoie le jeune Guillaume Depardieu. Un très beau film inoubliable. Il est loin d’en avoir fini avec le cinéma: Patrice Leconte, Claude Miller, Claude Lelouch, Bertrand Blier toujours, Yves Angelo, Jean-Daniel Verhaeghe, et bien des jeunes, font appel à lui, tandis qu’au théâtre, il ne cesse d’endosser de grands rôles, lui qui avait été dirigé par Albert Camus en 1957. Il aura joué Pinter, donc, avec Régy, et Saunders, Stoppard, mais aussi Audiberti, Anouilh, Tchekhov, Marcel Aymé bien sûr et l’étonnant Clérambard, Claudel, Jean-Claude Carrière. Ces dernières années, il avait porté à la scène ceux qu’il aimait le plus: les musiciens de jazz, sa passion et Groucho Marx avec l’ami Patrice Leconte.

Nommé plusieurs fois aux Césars, il n’en avait jamais obtenu un, mais avait reçu de nombreux prix par ailleurs, aussi bien du côté du cinéma que du théâtre. Il avait écrit un livre dont on vous recommande la lecture: un abécédaire, avec tous ses amis, toutes ses admirations. Bouquet et Kenny Clarke sans oublier Carmet ou Joël Seria. Il l’avait intitulé: Le Grand n’importe quoi. Un souvenir du conservatoire quand ses profs lui disaient: «Marielle, arrêtez de faire n’importe quoi.» Il les aura bien démentis…

www.lefigaro.fr/cinema